
Il y a encore quelques années, le mot était imprononçable. À peine formulé qu’il déclenchait l’anathème, l’excommunication médiatique, l’accusation automatique de barbarie morale. La remigration appartenait au vocabulaire interdit, relégué aux marges, enfermé dans le registre du fantasme ou de la provocation. Aujourd’hui, le terme circule. Il s’invite dans les débats, dans les tribunes, dans les discussions ordinaires. Non pas parce qu’il aurait été soudainement réhabilité par les institutions, mais parce que la réalité s’est chargée de le rendre audible. Ce qui progresse n’est pas une idéologie abstraite, mais une intuition collective, diffuse, presque instinctive : quelque chose ne fonctionne plus, quelque chose a été rompu, et les réponses apportées depuis des décennies ne suffisent plus.
La question migratoire, telle qu’elle a été pensée et imposée depuis quarante ans, repose sur une fiction. La fiction d’une intégration automatique, la fiction d’un enrichissement mutuel sans tension, la fiction d’une société capable d’absorber des flux massifs sans transformation profonde de ses équilibres culturels, sociaux et politiques. Cette fiction a été entretenue par les élites politiques, universitaires et médiatiques, non par naïveté, mais par confort idéologique. Elle permettait d’éviter les conflits, de disqualifier toute contestation, de transformer un sujet explosif en tabou moral. Or les tabous ne tiennent jamais longtemps face au réel.
Ce réel, les Français le vivent au quotidien. Pas dans les statistiques abstraites ni dans les discours officiels, mais dans l’espace public, dans l’école, dans l’hôpital, dans le rapport à l’autorité, dans la fragmentation progressive des références communes. Ce n’est pas une question de fantasmes ou de peurs irrationnelles. C’est une accumulation d’expériences concrètes, répétées, banalisées, qui finissent par produire une rupture mentale. Quand un phénomène devient omniprésent et qu’il est en même temps nié par ceux qui gouvernent, il cesse d’être un sujet politique classique pour devenir un point de bascule.
C’est dans ce contexte que l’idée de remigration progresse. Non comme un slogan magique ou une solution miracle, mais comme la conséquence logique d’un échec reconnu de plus en plus ouvertement. Si l’intégration ne fonctionne pas pour une partie significative des populations concernées, si le modèle multiculturel produit davantage de tensions que de cohésion, alors la question du retour, volontaire ou organisé, cesse d’être un blasphème pour redevenir une hypothèse politique parmi d’autres. Ce glissement est décisif. Il marque la fin d’un consensus artificiel et l’entrée dans une phase de clarification brutale.
Ce qui choque encore certains, ce n’est pas tant l’idée elle-même que le fait qu’elle soit désormais assumée publiquement. Le simple fait qu’elle soit évoquée sans trembler est perçu comme une transgression. Mais cette transgression n’est pas le fruit d’un radicalisme soudain. Elle est le résultat d’années de déni, de mensonges, de culpabilisation morale imposée à des populations sommées de se taire pendant que leur cadre de vie se transformait sans leur consentement. La remigration n’est pas née dans les esprits par goût de la provocation. Elle est née de la lassitude, du sentiment d’impuissance et du constat que les mots doux n’ont jamais réglé les problèmes durs.
Ce qui a rendu la remigration impensable pendant si longtemps, ce n’est pas l’absence de problèmes, mais l’organisation méthodique du silence autour d’eux. Le verrou n’était pas juridique, il était moral. Toute critique sérieuse de la politique migratoire a été assimilée à une faute, puis à une déviance, enfin à une pathologie. On n’argumentait plus contre un désaccord, on disqualifiait une personne. Le débat a été remplacé par le soupçon. Celui qui constatait était sommé de se justifier, celui qui interrogeait était accusé d’arrière-pensées, celui qui insistait devenait infréquentable.
Les élites politiques et médiatiques ont joué un rôle central dans cette confiscation. Non pas par complot, mais par réflexe de caste. Reconnaître que le modèle promu depuis des décennies ne fonctionne pas aurait impliqué d’assumer une responsabilité historique. Or il est toujours plus confortable d’accuser le peuple de mal comprendre que d’admettre s’être trompé. On a donc fabriqué un récit dans lequel toute remise en cause devenait suspecte par nature. Le réel était toléré tant qu’il restait invisible. Dès qu’il s’imposait, il fallait le relativiser, le minimiser, l’expliquer par des causes extérieures, jamais par les choix politiques eux-mêmes.
Le point aveugle de tout ce débat est la question culturelle. Pas au sens folklorique, mais au sens normatif de ce qui fait tenir une société. Une nation ne se résume pas à un territoire administratif ni à un empilement de droits. Elle repose sur des codes implicites, un rapport commun à la loi, à l’autorité, au temps, à la parole donnée. Tant que ces éléments sont partagés, les différences individuelles sont absorbables. Quand ils cessent de l’être, la coexistence devient une juxtaposition fragile.
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