Ne pas mépriser les pauvres.

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Lors de ma dernière campagne électorale européenne, en 2014 (sous l’étiquette royaliste de l’Alliance Royale), j’avais fait de la lutte contre la pauvreté un de mes axes de travail et de propositions, sans rencontrer beaucoup d’écho dans l’opinion ni même dans les milieux monarchistes plus occupés à chercher quelle liste pourrait être la plus efficace à Bruxelles, une question qui peut évidemment s’entendre mais dont, depuis déjà quelques décennies, nous connaissons la réponse, éminemment décevante. Quelques articles avaient néanmoins et ainsi abordé, sur ce site, ce sujet de la pauvreté et, à lire les programmes électoraux de l’époque, j’étais bien seul à l’évoquer, tout compte fait ! 

Comme si la pauvreté n’était pas un sujet assez important pour une campagne électorale des grands partis, ou que les pauvres étaient considérés comme une part négligeable de l’électorat, ce qui, d’ailleurs, n’est pas faux car, selon les études sociologiques, les plus déshérités de nos concitoyens sont ceux qui se déplacent le moins aux urnes. Or, il me semble que cela ne doit pas empêcher les politiques de se pencher sur le fléau de la misère sociale, sans misérabilisme justement, mais sans mépris non plus ! Au-delà de la pauvreté, d’ailleurs, c’est une double réflexion qu’il s’agit de mener, d’une part sur l’appauvrissement des populations laborieuses françaises (dont le soulèvement des Gilets jaunes a été un symptôme révélateur), d’autre part sur les nouvelles formes de la prospérité à (re)définir et à valoriser, une prospérité à décorréler de la croissance en tant que telle : cela pourra être l’objet de notes ultérieures.

Mais il importe d’abord de combattre le déni et le mépris qui, trop souvent, empêchent de saisir le sujet et excluent ceux qui devraient faire l’objet de nos attentions et, au-delà, de celles de l’État, et cela même si ce dernier ne doit pas tomber dans un assistanat trompeur et commode qui éviterait de résoudre, au moins en partie, le problème : l’État-providence n’est pas forcément la bonne solution, même si elle a pu, un temps, atteindre à une certaine efficacité dans l’amortissement des souffrances sociales. J’avais été très marqué, il y a quelques années, par un article de Jean-Claude Guillebaud publié dans La Vie (17 novembre 2016) et que j’ai rangé parmi ma pochette des papiers « les plus importants », article intitulé « L’incroyable mépris des pauvres » et qui évoquait la montée d’une nouvelle phobie : « la « pauvrophobie », c’est-à-dire la haine toute crue, le mépris avoué pour les plus fragiles et les plus pauvres. » C’était un article qui précédait de deux ans, quasiment jour pour jour, le soulèvement des Gilets jaunes contre le pouvoir actuel, et je pense qu’il n’est pas impossible d’y voir une de ces alertes qui, ignorées par la République en place, finissent par se transformer en actualité brûlante et conflictuelle…

« Selon une responsable du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), depuis la crise, l’opinion se montre plus sévère envers les catégories modestes, enjointes de prendre en main leur destin, de surmonter elles-mêmes leurs difficultés. Quant aux jérémiades de la droite contre « l’assistanat » (1) ou le « compassionnel », disons qu’elles aggravent encore un peu plus les choses. » Ce mouvement de rejet des plus socialement fragiles dans notre société, si j’en crois mes propres observations, s’est même renforcé depuis le Grand confinement de 2020, au risque de fracturer un peu plus l’unité française, déjà bien mise à mal par la mondialisation et la société de consommation qui ne reconnaît que les « ayants » selon leur capacité à consommer, et indexe les qualités des personnes sur leur aptitude à créer de la « plus-value » financière. Est-ce, comme semble l’indiquer M. Guillebaud, la « droite » qui est la plus insensible à la situation des moins aisés ? Ce n’est pas toujours certain, et je constate, dans les milieux de la Macronie, une certaine propension à recycler la formule de Lénine selon laquelle celui qui ne travaille pas n’a pas le droit de manger (une formule que l’on trouve déjà, si je ne me trompe, chez… Saint Paul !) : en somme, toute la faute de la pauvreté est rejetée sur les pauvres eux-mêmes, sans grande nuance ni empathie pour ceux-ci, et en oubliant les causes économiques et sociales elles-mêmes de la pauvreté (2) ! Chacun ferait ainsi son malheur, indépendamment des conditions économiques du moment, et s’intéresser aux catégories les plus fragiles serait une perte de temps et d’argent. Cette vision purement individualiste, compréhensible dans la logique libérale contemporaine, est sans doute une cause de la fracturation française contemporaine (si l’on se limite à la France), et elle n’est guère rassurante. Que l’on prenne garde à ne pas nourrir, en la négligeant, les séparatismes que l’on souhaite combattre par ailleurs : comme l’écrivait Georges Bernanos, « c’est l’injuste humiliation du pauvre qui fait les misérables »…

« Ce laid racornissement de la sensibilité française et ce chacun-pour-soi se manifestent de mille façons. On voit se « perfectionner » dans nos villes le mobilier urbain dissuasif qui empêche les SDF de trouver refuge ou abri quelque part. Banc inconfortables, pics anti-pigeons adaptés aux humains, bosselage volontaire des coins d’immeubles abrités, bancs grillagés pendant la nuit, etc. Ces mesures d’éloignement sont parfois purement financières ou purement administratives. Des collectivités territoriales réduisent drastiquement leur aide et leurs subventions aux associations censées accompagner les bénéficiaires du RSA. » Ainsi, il s’agit d’invisibiliser et de chasser les pauvres des centres-villes sans faire l’effort de résoudre la question sociale ou d’atténuer ses effets déplorables sur les personnes, les corps et les esprits. Or, la question sociale existe, et en détourner les yeux ou l’éloigner de nos regards n’empêchera pas ce fait, aussi rude soit-il pour nos sensibilités contemporaines. Et il importe de ne pas rajouter aux conditions déplorables de vie le surcroît d’une injustice sociale qui, de toute façon, « est toujours là. (…) La société française s’est durcie, les inégalités s’y sont creusées, l’égoïsme des « riches » devient toujours plus arrogant. On les célèbre dans les médias, au lieu d’évoquer d’abord tous ceux qu’on a laissés au bord de la route et dont on a confisqué –ou même disqualifié- la parole. »

Évoquer tout cela n’entre pas dans une logique misérabiliste qui, en soi, est plus néfaste qu’autre chose car elle ensable toute action dans une sorte de « bonne conscience » facile et surtout « impolitique ». Au contraire, il s’agit de valoriser la justice sociale, par une politique volontariste d’État qui ne soit pas étatiste : l’esprit d’initiative individuelle doit être soutenu sans tomber jamais dans l’individualisme absolu qui en est la caricature ; il doit s’accompagner d’une forme de convivialisme social et professionnel, que certains pourraient qualifier de corporatisme, dans le sens le plus intéressant et positif du terme… Cela signifie-t-il que toute pauvreté sera ainsi, comme par miracle, éradiquée ? Il serait illusoire et démagogique de l’affirmer, et je ne suis pas partisan de « l’édenisme », quel que soit son confort intellectuel, qui évite d’avoir à se confronter aux réalités et à la réflexion. Mais, « toujours faire pour le mieux » est un devoir politique, autant pour les institutions que pour les citoyens : l’oublier, c’est préparer les malheurs du lendemain sans réparer ceux d’aujourd’hui

Notes : (1) : La grande erreur d’une certaine « droite » libérale est de confondre l’assistanat et l’assistance, et de dénoncer l’un en condamnant, en fait, l’autre : or, si le fait de laisser l’État ou les pouvoirs publics, ou des associations caritatives, « tout faire » pour les populations les moins favorisées (et à la place de celles-ci) au risque de les enfermer dans une dépendance paresseuse, est absolument négatif, il importe néanmoins de répondre au devoir d’assistance « à plus faible que soi », assistance légitime et nécessaire à toute société pour maintenir l’harmonie entre ses différentes catégories sociales de populations. Une « droite » qui oublierait ce qui « fait société » dérogerait au sens même de la Cité, au sens traditionnel du terme, héritage de notre civilisation gréco-latine enrichie de catholicisme…

(2) : En disant cela, je ne méconnais pas pour autant les responsabilités personnelles de certaines personnes qui, parfois, peuvent renoncer à tout effort pour sortir de la situation de pauvreté : si cela s’avère être un choix assumé pour les unes, ce n’est pas le cas pour nombre d’autres qui, pour de bonnes ou mauvaises raisons, ne veulent pas « sortir de leur zone de confort », au risque de se comporter comme des parasites sociaux, ce qui est absolument détestable ! Ce ne sont pas ceux-là qui méritent notre attention et notre aide, sauf pour les enjoindre à changer d’attitude et d’assumer leurs propres devoirs sociaux d’intégration à cette société dont ils sont, même malgré eux, des parties prenantes…

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